Ayant eu ce genre de conversation avec quelques jeunes filles ces derniers jours, je crois que ce petit dialogue du divin DIderot mérite d'être relu...
BORDEU: Pourriez-vous m'apprendre quel profit ou quel plaisir la chasteté et la continence rigoureuse rendent soit à l'individu qui les pratiques, soit à la société?
MLLE L'ESPINASSE: Ma foi, aucun.
BORDEU: Donc, en dépit des magnifiques éloges que le fanatisme leur a prodigué, en dépit des lois civiles qui les protègent, nous les rayerons du catalogue des vertus, et nous conviendrons qu'il n'y a rien de si puéril, de si ridicul, de si absurde, de si nuisible, de si méprisable, rien de pire, à lexception du mal positif, que ces deux rares qualités...
MLLE L'ESPINASSE: On peut accorder cela.
BORDEU: Prenz-y garde, je vous en préviens, tout à l'heure vous reculerez.
MLLE L'ESPINASSE: Nous ne reculons jamais.
BORDEU: Et les actions solitaires?
MLLE L'ESPINASSE: Eh bien?
BORDEU: Eh bien, elles rendent du moins du plaisir à l'individu, et notre principe et faux, ou...
MLLE L'ESPINASSE: Quoi, docteur!...
BORDEU: Oui, mademoiselle, oui, et par la raison qu'elles sont aussi indifférentes, et qu'elles ne sont pas aussi stériles. C'est un besoin, et quand bien on n'y serait pas sollicité par le besoin, c'est toujours une chose douce. Je veux qu'on se porte bien, je le veux absolument, entendez-vous? Je blâme tout excès, mais dans un état de la société tel que le nôtre, il y a cent considérations rraisonnables pour une, sans comter le tempérament et les suites funeste d'une continence rigoureuse, surtout pour les jeunes personnes; le peu de fortune, la criante parmi les hommes d'un repentir cuisant, chez les felles celle du déshonneur, qui réduisent une malheureuse créature qui périt de langueur et d'ennui, un pauvre diable qui ne sait à qui s'adresser, à s'expédier à la façon du cynique. Caton, qui disait à un jeune homme sur le point d'entrer chez un courtisane: "Courage, mon fils..." lui tiendrait-il le même propos aujourd'hui? S'il le surprenait au contraire, seul, en flagrant délit, n'ajouterait-il pas: cela est mieux que de corrompre la femme d'autrui, ou que d'exposer son honneur et sa santé?... Et quoi! parce que les circonstances me privent du plus grand bonheur que l'on puisse imaginer, celui de confondre mon sens avec les sens, mon ivresse avec l'ivresse, mon âme avec l'âme d'une compagne que mon coeur se choisirait, et de me reproduire en elle et avec elle; parce que je ne puis consacrer mon action par le sceau de l'utilité, je m'interdirai un instant nécessaire et délicieux! On se fait saigner dans la pléthore; et qu'importe la nature de l'humeur surabondante, et sa couleur, et la manière de s'en délivrer? Elles sont toutes aussi superflue dans une de ces indispositions que dans l'autre; et si, repompée de ses réservoirs, distribuée dans toute la machine, elle s'évacue par une autre voie plus longue, plus pénible et dangereuse, en sera-t-elle moins perdue? La nature ne souffre rien d'inutile; et comment serais-je coupable de l'aider, lorsqu'elle appelle mon secours par les syndrômes lesmoins équivoques? Ne la provoquons jamais, mais prêtons-lui la main dans l'occasion; je ne vois au refus et à l'oisiveté que de la sottise et du plaisir manqué. Vivez sobre, me dira-t-on, excédez-vous de fatigue. Je vous entends: que je me prive d'un plaisir; que je me donne de la peine pour éloignenr un autre plaisir. Bien imaginé!
MLLE L'ESPINASSE: Voilà une doctrine qui n'est pas bonne à prêcher aux enfants.
BORDEU: Ni aux autres. Cependant me permettez-vous une supposition? Vous avez une fille sage, trop sage, innocente, trop innocente; elle est dans l'âge ou le tempérament se développe. Sa tête s'embarasse, la nature ne la secours point; vous m'appellez. Je m'apperçois tout à coup que tous les symptômes qui vous effrayent naissent de la surabondance et de la rétention du fluide séminal; je vous avertis qu'elle est menacée d'une folie qu'il est facile de prévenir, et qui quelquefois est impossible à guérir; je vous indique le remède. Que ferez-vous?
MLLE DE L'ESPINASSE: A vous parlez vrai, je crois... mais ce cas n'arrive point...
BORDEU: Détrompez-vous; il n'est pas rare; et il serait fréquent, si la licence de nos moeurs n'y obviait... Quoi qu'il en soit, ce serait fouler aux pieds toute décence, attirer sur soi les soupçons les plus odieux, et commettre un crime de lèse-société que de divulguer ces principes. Vous rêvez.
MLLE L'ESPINASSE: Oui, je balançais à vous demander s'il vous était jamais arrivé d'avoir pareille confidence à faire à des mères.
BORDEU: Assurément.
MLLE L'ESPINASSE: Et quel parti ces mères ont-elles pris?
BORDEU: Toutes, sans exception, le bon parti, le parti sensé... Je n'ôterais pas mon chapeau dans la rue à l'homme suspecté de pratiquerma doctrine; il me suffirait quon l'appelât un infâme. Mais nous causons sans témoins et sans conséquence: et je vous dirai de ma philosophie ce que Diogène tout nu disait au jeune et pudique Athénien contre lequel il se préparait à luter: "Mon fils, ne crains rien, je ne suis pas si méchant que celui-là"
MLLE L'ESPINASSE: Doncteur, je vous vois arriver, et je gage...
BORDEU: Je ne gage pas, vous gagneriez. Oui Mademoiselle, c'est mon avis.
MLLE L'ESPINASSE: Comment! soit qu'on se renferme dans l'enceinte de son espèce, soit qu'on en sorte?
BORDEU: Il est vrai.
MLLE L'ESPINASSE: Vous êtes monstrueux.
BORDEU: Ce n'est pas moi, c'est ou la nature ou la société. Ecoutez, mademoiselle, je ne m'en laisse point imposer par des mots, et je m'explique d'autant plus librement que je suis net et que la pureté de mes moeurs ne laisse price d'aucun côté. Je vous demanderai donc, de deux actions également restreintes à la volupté, qui ne peuvent rendre que du plaisir sans utilité, mais dont l'une n'en rend qu'à celui qui la fait et l'autre le partage avec un être semblable mâmle ou femelle, car le sexe ici, ni même l'emploi du sexe n'y fait rien, en faveur de laquelle le sens commun prononcera-t-il?
MLLE L'ESPINASSE: Ces questions-là sont trop sublimes pour moi
BORDEU: Ah! après avoir été un homme pendant quatre minutes, voilà que vous reprenez votre cornette et vos cotillons, et que vous redevenez feme. A la bonne heure: eh bien! il faut vous traiter comme telle... Voilà qui est fait... On ne dit plus mot de Mme du Barry... Vous voyez, tout s'arrange; on croyais que la cour allait être bouleversée. Le maître a fait en homme sensé; Omne tulit punctum; il a gardé la femme qui lui fait plaisir, et le ministre qui lui est utile... Mais vous ne m'écoutez pas... Où en êtes-vous?
MLLE L'ESPINASSE: J'en suis à ces combinaisons qui me semblent toutes contre nature.
BORDEU: Tout ce qui est ne peut être ni contre la nature ni hors de nature, j'en excepte pas même la chasteté et la continence volontaire qui seraient les premiers des crimes contre nature, si l'on pouvait pêcher contre nature, et les premeirs des crimes contre les lois sociales d'un pays où l'on péserait les actions dans une autre balance que celle du fanatisme et du préjugé.
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4 commentaires:
"Tout ce qui est ne peut être ni contre la nature ni hors de nature, j'en excepte pas même la chasteté et la continence volontaire qui seraient les premiers des crimes contre nature, si l'on pouvait pêcher contre nature, et les premeirs des crimes contre les lois sociales d'un pays où l'on péserait les actions dans une autre balance que celle du fanatisme et du préjugé."
d'où le PCF...... lol
Papageno, tes papagenas te perdront... en attendant, cette philosophie me plait beaucoup
Papageno, tes papagenas te perdront... en attendant, cette philosophie me plait beaucoup
Je découvre le texte en fait, même si je savais que beaucoup s'étaient penchés sur la question et je crois qu'elle n'a pas finit de tracasser les esprits... l'humanité à la recherche de plaisir et les petits tabous des petits plaisirs solitaires.
On publie aujourd'hui nombre de textes ou on remet au goût du jour nombre de lignes exhumées des recoins les plus obscurs d'une bibliothèque poussiéreuse et pourtant le débat reste toujours d'actualité... le plaisir des sens, la recherche du plaisir.
Toutes les pratiques sont jugées souvent tabou, ce qui ne les empêche pas d'exister, d'être pratiquées à tout va et pourtant, pourtant elles sont restées bien souvent contraire à l'ordre moral.
La préséance condamne ou la préséance condamnée... que choisir ? la perversion sûrement pour son côté rebelle et la jouissance qui s'en dégage.
Si une conversation peut exister sur le thème, entre les deux sexes, si au moins on reconnaît le droit à l'autre d'avoir du plaisir et ce, qu'il soit solitaire ou du fait d'une pratique moins répandue, alors c'est un pas franchis vers une reconnaissance des droits de la personne et peut être cesser d'appliquer sur chacun une idée de ce qui est bien ou mal et enfin reconnaître la liberté, une liberté sexuelle sans s'arrêter aux canons de la société ou ceux de la religion, s'ouvrir, sortir de ces ornières rétrogrades.
Tu as choisi un joli texte, comme quoi tu es très bien documenté sur bien des sujets. Plaisir assuré...
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