En feuilletant les pages de Bernadette Martin-Hisard sur l'Anatolie et l'Orient byzantin dans Le Monde Byzantin de Jean-Claude Cheynet, je ne suis replongé dans mes photos de voyages et les quelques jours que j'ai passé il y a un an et demi en Cappadoce. J'ai déja eu l'occasion d'écrire ici quelques lignes sur cette région qui parle beaucoup à notre imaginaire contemporain familiarisé aux paysages tataouinesques de George Lukas, mais l'Anatolie centrale entre le Lac Tatta, Césarée et Môkissos était pour les populations byzantines des époques isaurienne et comnène était à la fois un don, un asile et donc un espace de liberté alors que les Turcs ne cessaient de progresser au Proche Orient.
L'actuelle Vallée d'Ucisar est en fait une dépression creusée dans un plateau calcaire par l'érosion et dont le fond est tapissé d'une surface alluviale relativement grâce qui permet une agriculture de subsistance, qui certes ne suffit pas à l'enrichissement des paysans qui la cultivent, mais permet aux familles de vivre convenablement.
La "Vallée de l'amour" symbolisée par les cheminées de fées en forme de phallus, scultée par les humeurs de l'érosion symbolise d'une certaine manière cette relative fertilité, associée par les anciens à la déesse de l'amour... la vallée étant un axe majeur de communication à l'époque hellénistique.
Il n'en est pas moins que le tuf fait ici office d'asile pour les populations fuyant les raids turcs et arabes et offre un refuge troglodyte des plus discrets et doté d'un certain rafinement. Les habitations creusées dans les cheminées ou dans le talus du plateau comportent en effet plusieurs pièces et l'on repère assez facilement que chacune de ces pièces a son utilité propre. La roche est sculptée à l'intérieur de telle sorte qu'elle offre à ses habitants un certain confort "mobilier".
Sans doute la vallée du monastère de Göreme offre l'exemple le plus frappant de ce raffinement à l'exemple de la voute de cette basilique totalement scultée dans la roche et dont les ornements préservés de la lumières sont encore, si ce n'est surtout aujourd'hui, stupéfiants.
La "coupole" ornée de ce Christ bleu sitée dans une chapelle un peu plus en hauteur que la précédente nous donne aussi à penser un art byzantin pictural bien différent des mosaïques de Sainte-Sophie ou des scènes dorées de Saint-Sauveur-in-Chôra à Instabul. Ce raffiment est d'autant plus intéressant qu'il se réalise dans une période de conflits politiques religieux entre l'empire chrétien de Byzance et le royaume seldjoukide.
Grégoire Pakourianos ou Kékauménos nous diraient sans doute que s'il y a un monastère c'est qu'il y a possibilité de s'enrichir dans la région... le monastère n'étant finalement qu'un outil de production comme un autre. Certes, c'est là tout le charme de l'histoire byzantine. Il n'en est pas moins que cette table monacale exprime aussi la réalité d'une vie de contemplation et de prière qui n'est tout de même pas absent de l'idéal monastique byzantin.
Les vallées d'Ucisar et de Göreme seraient alors des refuges de la chrétienté comme laisse le suggèrer au loin ce profil virginal? Il me semble que ce sont avant tout des contre-mondes qui émergent dans un contexte et un espace troublé par la guerre, mais aussi des échanges que toute guerre induit. Ces contre-mondes sont donc paradocalement aussi des marges de liberté à l'égard de la lointaine Constantinople qu'elle soit d'abord byzantine puis ottomane, le Grand Seigneur n'ayant jamais porté atteinte à cet asile Chrétien. Mais un Ottoman, c'est encore un peu un Byzantin, alors tant que l'impôt est payé...