20 mai, 2007

L'identité française aujourd'hui: la fausse route de Sarkozy

Alors que la question de l'identité nationale retrouve une certaine actualité, il me semblait intéressant de faire part ici des travaux de Wolfgang Schmale, historien autrichien de l'Université de Vienne, qui a publié une histoire de France reposant sur une idée neuve, celle que l'identité française s'est construiste par le biais de transferts culturels d'hommes, d'idées et de choses venues d'ailleurs. Aussi, l'Italie, l'Allemagne, le Royaume-Uni et les Etats-Unis d'Amérique ont depuis la Renaissance influencé notre culture et nous leur avons emprunté des éléments identitaires qui leur étaient propres et que nous avons assimilé comme étant notres. L'intérêt de Wolfgang Schmale est de totalement renverser le processus de création des identités nationales que l'ont a longtemps regardé comme se créant en soi et pour soi, indépendament de l'extérieur. Puisque Wolgang Schamle pose l'autorcritique du regard de l'historien comme un principe fondamental, il serait injuste de ne pas préciser qu'il s'inscrit ici dans une conscience identitaire métissée qu'est celle de l'Autriche, laquelle identité s'est construite par des transferts culturels échangés avec la Bohême, la Hongrie, l'Allemagne, les Blakans, l'Italie ou l'Empire ottoman. Or il s'avère que la démarche de Wolgang Schmale n'est pas des moins pertinentes pour l'histoire de l'identité française, malgré le faible écho qu'elle a reçu ici.

Ces nouvelles perspectives doivent participer au débat contemporain sur l'identité nationale. Si celle-ci se contruit par des transferts avec ses égales, il semble donc bien paradoxal de la faire se refermer sur elle-même et de considérer les échanges avec l'étranger comme des risques à l'égard de cette identité. En effet, si l'identité nationale à un sens aujourd'hui - ce qui est loin d'être évident - celle-ci évolue et se reconstruit grace à des transferts avec l'Afrique comme jadis avec l'Italie ou l'Angleterre. Qui peut contester que le Couscous soit aujourd'hui un plat bien de chez nous? Bien entendu nous ne le faisons pas de la même façon qu'au Maghreb, mais nous le faisons tout de même. C'est cela un transfert culturel: un élément partie d'une culture vers une autre, reçu par cette dermière, transformé et assimilé par elle. Le couscous a-t-il mis en cause notre identité nationale? Non, il la fait évoluer, cart toute identité évolue et n'est jamais la même d'une génération à l'autre. Figer une identité, c'est la tuer.

12 commentaires:

Mimille a dit…

Oui, la philosophie aussi, ça nous vient de l'étranger ;-)

D. a dit…

Je ne veux pourtant pas donner de la France la description qu'en donne Céline au début du Voyage. Là où je peux oser nuancer Wolfgang Schmale, cest que tous ces phénomènes sont pour moi peut-ê^tre plus des interactions que des transferts. Mais peut importe ici ce genre de discussion, à ceci prêt qu'il me semble que les interactions montre un échange aussi créateur pour celui qui le fait que celui qui le reçoit, que ne l'est le transfert.

Anonyme a dit…

Au fond, ce sont nos bons vieux amis les Romains qui avaient tout compris, en pratiquant transferts ET interactions sans problèmes majeurs... que n'a t-on gardé aujourd'hui cette bonne vieille interpretatio romana !
Ceci était un message-pas-complètement-sérieux-mais-un-peu-quand-même, pour soutenir mon collègue qui ne manquera pas de tomber à l'oral sur "Rome et l'Afrique, interactions et transferts..." et la prof de contempo au jury ne laissera pas passer l'occasion d'enfoncer la hallebarde dans la plaie au sujet de l'identité nationale, non ?
David, qui compte bien faire son DEA sur la crise d'identité dans les années 1950-60, mais plutôt chez les militaires, pour éviter toute complication : "nous y'en a être en crise depuis déculotée de 1940, nous devoir garder colonies, nous y en a besoin bombe atomique pour sauver puissance française..." Au moins, eux, y causent correct, un peu comme Céline ;-)

D. a dit…

Et la victoire de Sarkozy dans tout ça, cher David? Sommes nous francs du syndrome de 40?

Anonyme a dit…

bravo pour ton article et pour ton blog! Et aussi pour la référence!
pour moi, le processus d'"acculturation" vis à vis des éléments exogènes, qu'il ne faut pas confondre avec l'assimilation (cf Pasqua!) est à la base de la survie de nos sociétés occidentales vieillissantes.
à+

D. a dit…

Je suis d'accord sur l'acculturation, ce sont mes vieux restes de Renan.

Anonyme a dit…

Excellent post ! Ce livre a l’air très intéressant et je suis entièrement d’accord avec ta conclusion (figer une identité, c'est la tuer), c’est pour cela que je combattrais toujours les idées de l’extrême droite.
Toutefois, je ne vois pas en quoi notre héritage culturel très diversifié doit entrer en opposition avec l’identité nationale : si nous n’avons aucune identité propre, que nous n’avons su que nous approprier celle des autres, pourquoi – après tout, ne serait-ce pas cela notre identité ? D’avoir su intégrer, mélanger les cultures avec la notre pour n’en retenir que ce qu’il y a de mieux pour (et selon) nous ? A partir de cela, nous ne pouvons nier que nous avons une identité nationale, un héritage culturel dont je pense qu’il n’y a aucun mal à être fiers, bien au contraire !

Parler d’identité nationale ne doit pas forcément être mis en opposition avec l’ouverture au monde. En tant que petit-fils d’immigrés espagnols, je peux vous dire que je suis fiers d’être Français et fiers que la France ait accueilli et intégré mes grands-parents (comme elle l’a fait avec des milliers d’autres personnes) et leurs ait permis d’avoir une situation qu’ils n’auraient jamais pu avoir dans leur pays d’origine.
Attention cependant, je pense que ces valeurs sont depuis quelques années en train de régresser, non pas (en tout cas pas seulement) à cause du raciste ou de la xénophobie, mais plutôt à cause du fait qu’à trop vouloir faire de social, on en a presque oublié l’humanisme : accepter les immigrés (y compris les clandestins) en masse ; les entasser dans des cités HLM par manque de moyens et de place plutôt que de leur proposer des logements cohérents ; les forcer à vivre avec le minimum vital (voire moins) que permettent les soi-disant aides plutôt que de leur proposer un véritable emploi et une véritable façon de gagner leur vie et de s’assumer est à mon sens tout simplement intolérable…
Même si je ne suis pas toujours d’accord avec Nicolas Sarkozy (notamment le fait de multiplier les effets d’annonce pour récupérer les voix de l’extrême droite) sur ces points, je dois reconnaître que je suis bien content qu’il ait brisé un tabou avant que notre pays ne sombre dans l’extrémisme du Front National.
Je ne dis pas que je suis en accord avec tout ce qu’a pu proposé le nouveau président de la République, simplement que je trouve bien que certains sujets soit revenus sur le devant de la scène et que tous les partis proposent des solutions (le PS s’est lui-même mis à parler de régularisation au cas par cas et d’« immigration partagée ») afin que l’on puisse enfin se pencher sur des problèmes sur lesquels on a trop longtemps fermé les yeux…

D. a dit…

Oui identité est ouverture ne sont pas nécessairement opposées, mais je crois que l'intérêt du livre de Schmale est de montrer que l'identité est une affaire de stratégie que l'on modèle selon nos besoins. Travaillant aussi sur l'identité de l'autre, je suis convaincu que toute identité est contruite, relative et révocable. Ce n'est que le produit de stratégies sociales particulières. Par ailleurs, un individu peut avoir plusieurs identités, même paradoxales, et en jouer selon ses besoins.

Je vous parlerai un jour de Mohamed ben Abdel Malek.

Anonyme a dit…

Je suis d’accord sur le fait que certaines personnes jouent sur différentes facettes de leur identité selon les circonstances afin d’en tirer profit, c’est d’ailleurs pour cela que j’essaie de juger les personnalités politiques non pas sur leur vie privée mais bien sur leurs idées.
De là à dire que qu’on peut se modeler plusieurs identités selon nos besoins par pure stratégie, on atteint un domaine psychologique passionnant mais sur lequel je ne suis pas assez calé pour pouvoir débattre… Cependant je pense (en tout cas j’espère ;-) que cela relève plus de la psychopathologie que de nos véritables personnalités !

D. a dit…

Il n'y a rien de pathologique là-dedans, c'est bien au contraire une richesse que révèle les sciences sociales. Je ne disais cela sans jugement de valeurs.

Je travaille actuellement sur un ambassadeur Marocain se rendant à Vienne en 1783 qui arrive à manipuler le regards des Viennois sur son identité, finissant pas être considérer comme une "parfait courtisan" - avec toute la force que cela implique au XVIIIe siècle - alors que le Maroc reste qualifié de "bizare" si ce n'est parfois de "barbare".

Je peux encore vous parler de femme musulmane de Bosnie, vivant à la frontière des empires autrichien et ottoman au XVIIIe siècle encore, traversant la frontière en 1781, et se convertisant au christinisme en trois semaines parce qu'elles craignent que l'Autriche déclare la guerre au Sultan. Une fois le risque de conflit écarté, elles retournent en Bosnie, redeviennent musulmanes et retrouvent leurs maris...

Tout cela constitue des stratégies identitaires, et l'identité n'est autre que cela.

Anonyme a dit…

"Figer une identité, c'est la tuer".
J'aime beaucoup cette phrase.
Je n'ai jamais su trouver ma place nulle part. Entre Ecosse et France, mon coeur vacille même si ma langue intime est le français.
Mais ma madeleine de Proust est plutôt située en Ecosse.
Et étrangement, là où je me sens le plus émue, là où j'aimerais vivre, c'est l'Italie.
J'aime cette idée d'éclatement d'une identité, d'éparpillement intelligent.

Et je suis souvent hors sujet dans mes commentaires...

D. a dit…

en tout cas celui ci ne l'est pas hors-sujet